On pense à tous les épisodes de séries policières dans lesquels une personne fait une fixation sur une autre au point de scotcher son image partout sur ses murs, ou au très beau film Anna M, avec la subtile Isabelle Carré, dont le personnage se fait engager comme baby-sitter dans l’immeuble de son « amour » pour se rapprocher de ce dernier, alors même que celui-ci est marié, ou encore au terriblement anxiogène Liaison Fatale, dans lequel la femme qui vit ce délire passionnel, incarnée par l’époustouflante Glenn Close, va jusqu’à la tentative de meurtre de la compagne de sa « target ».
Mais alors, d’où vient ce délire ? Comment se concrétise-t-il ? Est-on érotomane à vie ou est-ce que cela peut changer ? Pour comprendre ce phénomène, nous avons interrogé Sébastien Garnero, docteur en psychologie et sexologue, et Stéphane Edouard, sociologue.
Définition : c’est quoi l’érotomanie ou le syndrome de Clérambault ?
« C’est une pathologie psychotique à laquelle le psychiatre Gaëtan de Clérambault (admiré de Lacan) s’est particulièrement intéressé. Il s’agit d’une passion pathologique qui touche majoritairement les femmes, même si des cas d’érotomanie existent aussi chez les hommes », explique Sébastien Garnero.
Ce n’est pas juste le désir d’être aimé ou de la nymphomanie, c’est une conviction délirante liée à une mauvaise interprétation des signes de l’amour. Parole, carte postale, commentaire ou simple like sur les réseaux sociaux : le moindre petit signe d’attention suffit à lancer le délire. L’érotomane se crée ensuite un film à l’aune de cette preuve erronée. Le signal peut même être le non-signal. Tout est bon pour fuir, contourner ou contrôler la réalité. Une carence affective peut favoriser le terrain de l’érotomanie.
Comment expliquer l’érotomanie ? Quelles sont les causes ?
« L’illusion est la conséquence d’une incapacité à affronter la réalité ou à la comprendre. En effet, accepter les limites de l’existence est la chose la plus dure au monde : les rides, les déceptions et, en l’occurrence, les limites de l’amour, nous sont insupportables », rapporte Stéphane Edouard.
« Alors on crée un leurre. Le mensonge, vis-à-vis de soi-même ou des autres est ici un moyen de calquer la réalité sur notre volonté. C’est pathologique, mais, dans le fond, pas plus absurde que de dire de grandes phrases de type ‘tout le monde a du talent’. C’est faux : tout le monde n’a pas du talent et tout le monde n’est pas amoureux de nous ».
S’agit-il d’une pathologie commune ou marginale ?
« C’est assez marginal dans sa forme aiguë ; en revanche, c’est une tendance plus quotidienne avec les réseaux sociaux et le vrai/faux sentiment de proximité que ces derniers provoquent. La réalité est flouée par la virtualité, mais il n’y a pas plus de malades », dit Sébastien Garnero.
Qu’est-ce qu’une femme ou un homme érotomane ? Quels signes ?
« L’érotomane projette son amour sur l’autre. Parfois sur quelqu’un d’aussi lointain qu’une célébrité ou un personnage public. En psychopathologie, on dissocie trois différentes phases à partir du signe déclencheur », poursuit le spécialiste.
3 phases chez l’érotomane
- La phase espoir : l’érotomane y croit. Il/elle va démultiplier les harcèlements : présence insistante, lettres, appels, SMS très fréquents, etc. ;
- La phase dépit : dans un second temps, la personne comprend qu’elle est rejetée. S’ensuit une « dé-pression », un sentiment de tristesse, de la souffrance… ;
- La phase rancœur et colère : c’est là qu’il faut être le plus attentif, car pendant cette période l’amoureux imaginaire peut causer du tort à l’autre, souvent de façon déguisée et larvée. Certains vont parfois jusqu’au meurtre. Mais tous ne deviennent pas dangereux.
« La passion s’enclenche sur un claquement de doigts et à partir de ce moment-là, la personne érotomane s’enferre dans son délire : commence à stalker (traquer) l’autre, à être potentiellement jalouse, etc. », ajoute Stéphane Edouard.
L’érotomane ne se confronte jamais à un « non » franc ?
« Là encore le non va être interprété comme un amour détourné. L’amoureux imaginaire trouve une explication qui va dans le sens de son délire passionnel : ‘c’est fait exprès pour me faire mariner' », raconte Sébastien Garnero. « Un non franc et efficace est rarement prononcé. Et même si l’on parvient à le dire clairement ou le faire comprendre sans créer d’ambiguïté, cela ne suffit pas toujours à écarter un.e érotomane« , précise Stéphane Edouard.
Est-ce que la « maladie de l’amour » se soigne ? Existe-t-il un traitement ?
« Un état d’énamoration (d’élan vers un autre) fort et déraisonné sans que cela soit de l’érotomanie est possible chez la plupart d’entre nous, mais il y a une prise de conscience et on finit par redescendre », rassure Sébastien Garnero.
Dans le cas d’une érotomanie, il y a une structure pathologique préexistante et il faudra un important travail avec un spécialiste pour corriger les perceptions erronées de l’érotomane.
Les érotomanes peuvent potentiellement avoir recours à la thérapie et/ou médicalisation, mais ils sont plutôt résistants. Les encourager à se faire soigner peut les aider, mais plutôt en phase de dépit. Toutefois, ce type de personnalité n’est pas très enclin aux consultations et pour cause : dans leur esprit, les érotomanes ne perçoivent pas leur problème.
Comment se comporter face à une personne érotomane ? Que faire ?
« Le premier conseil est d’en parler. La victime s’isole car elle ne comprend pas. Il faut pourtant pouvoir en parler aux autres : proches et spécialistes. Ensuite, essayer de ne pas attiser et de ne pas aller au clash : avec la prolifération des réseaux sociaux, ce phénomène a tendance à s’accroître (dans sa version soft). C’est pour cela qu’il est important de divulguer le moins de choses possible, car certains vont en profiter pour mettre à mal l’autre, avoir de l’emprise sur lui/elle », explique Sébastien Garnero.
Je suis victime d’une personne érotomane
En cas de harcèlement et/ou dangers potentiels, il faut déposer une plainte. Si besoin, il convient d’avoir recours à la justice. Cela permet de réaliser et de montrer que ça déborde.
« Il faut tenter de renouer avec le réel et la vérité, essayer de raconter une histoire avec des évènements factuels et sans la rationaliser à notre avantage, etc. Tout cela favorise le contact avec la réalité », conseille Stéphane Edouard.
À retenir
Il faut bien distinguer l’érotomanie de la nymphomanie ou des amourachements forts. Cela n’a rien à voir avec le désir sexuel ou le sexe, ni avec une passion adolescente, et cela n’a pas grand chose à voir non plus avec les victimes. Ces dernières servent juste de support au délire de la personne érotomane. Dans tous les cas, il faut rester vigilant.e car bien que romantique sur le papier, ce trouble peut se révéler très compliqué à gérer dans la réalité.