Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des troubles récurrents de l’humeur. Comment construire sa vie lorsque l’on est atteint par ce trouble ? Nous avons rencontré Emmanuel Urbu, patient rétabli de troubles bipolaires, à l’occasion de la sortie de son livre S’apprivoiser, confessions d’un ex-bipolaire en consultations (éditionEnrick B. Eds).
Quels sont les symptômes ?
Une alternance de hauts et de bas : de crises maniaques, c’est le haut et dépressives, le bas. On pourrait dire que la crise maniaque, c’est une euphorie qui s’installe et qui continue alors qu’il n’y a plus de raison d’être euphorique. On pense très vite, on a un sentiment de toute puissance. On n’a peur de rien, on se met à moins dormir. Imaginez que dans une crise maniaque, ça m’est arrivé de ne pas dormir pendant une semaine, sans drogues. Le corps, le mental, finit au bout de 3 mois de crise épuisé. La réponse logique du corps, c’est la dépression. On a un cerveau qui carbure très vite. On passe du coq à l’âne. On a aussi une augmentation de la libido. Je sortais et je ne rentrais pas chez moi. Je dépensais de l’argent que je n’avais pas. Ensuite on peut s’endetter parce qu’on est sur un rythme qu’on a envie de satisfaire.
Quel a été l’impact sur votre vie ?
Les conséquences d’une crise maniaque, ce n’est pas juste l’épuisement.
Etant donné qu’on n’a peur de rien, on prend d’énormes risques. J’ai eu un accident qui m’a amené un an et demi à l’hôpital. J’ai eu beaucoup d’accidents de voiture, cinq ou six accidents de voiture, des dettes colossales. Parce qu’on ne s’en rend pas compte, on a des achats très souvent compulsifs. Tout ce que je vous raconte, imaginez le résultat dans les relations sociales, amicales et surtout amoureuses.
Je le résume ainsi : on a un problème pour apprivoiser nos émotions. J’étais dans l’errance, qu’on appelle l’errance médicale. Moi, j’étais dans l’errance de ma vie.
C’est comme si j’avais commencé à créer des débuts de vie quatre fois et que j’étais retombé tout en bas chaque fois.
J’étais un être humain qui avait encore un jean et un Tee Shirt, c’est tout. Et plus d’amis, plus rien. Heureusement, une famille qui m’a permis à chaque fois de trouver un refuge et de relancer ma vie. Et je recommençais. Je retrouvais un métier, je retrouvais une femme dans ma vie et tout se passait bien. Et dès que ça se passait un peu trop bien, j’explosais et je remettais tout à terre.
Qu’est-ce qui a déclenché ces troubles ?
Il y a un terrain génétique, une fragilité qui fait que des gens vont déclarer des troubles. Quand le rapport que vous avez au monde est bancal, moi, le mien était particulièrement bancal sans que je m’en rende compte. Je vivais à Londres, je travaillais dans la publicité, milieu assez difficile au niveau du travail : on vous met beaucoup de pression, il y a de l’alcool et il peut y avoir de la drogue. Cet environnement-là, sur cette construction de personnalité qui était bancale avec sans doute du génétique, a créé un terrain favorable à l’émergence des troubles. Et là dessus, il y a eu un choc émotionnel dans ma vie, une rupture amoureuse qui a fait exploser un peu mon modèle de vie et ma manière d’entrer en relation au monde. Et c’est ça qui a directement causé le début de mes troubles.
Donc c’est un choc émotionnel sur un terrain personnel très bancal, dans un environnement instable. Ce choc émotionnel a lieu à 26 ans. Je serai diagnostiqué à 36 ans. Dès l’âge de 26 ans, je commence à alterner des crises maniaques que je vous ai décrites avec tous ces symptômes et des dépressions. Et même une tentative de suicide. Des mois entiers sous une couette ne pas bouger et à être terrorisé avec une sorte de boule au ventre extrêmement douloureuse.
Où avez-vous trouvé de l’aide ?
Je pense qu’à un moment, mon cerveau en a eu ras le bol. Ce ras-le-bol, pour moi, c’est la principale cause du déclic pour changer. Soit on arrête tout. Moi, je me suis posé la question et j’ai même essayé de tout arrêter. Soit on a de l’espoir et un peu encore de la force, on se dit ok, je vais continuer, mais il faut changer quelque chose. A 36 ans, je rencontre un psychiatre qui s’était spécialisé dans le suivi des troubles bipolaires. Je suis allé le voir, il me dit “écoutez Emmanuel, je pense vraiment que je peux vous aider. Je crois que je comprends ce qui vous arrive. On peut faire équipe.” Quand on a eu dix ans de non vie, qu’on vous dit ça… Ça m’a vraiment marqué.
Comment vous en êtes-vous sorti ?
Aujourd’hui, je dis que je ne suis plus bipolaire parce que je n’ai plus de crises. Evidemment je suis toujours fragile et je suis potentiellement bipolaire. Mais ça fait quand même 4 ans que je n’ai plus de troubles. Pendant 15 ans, donc de 36 à 48 ans, je me suis stabilisé grâce à un traitement médicamenteux en partie qu’on appelle un thymorégulateur. Ce traitement m’a certainement aidé à avoir moins de crises, mais il n’a rien guéri, ni solutionné.
Pour aller vraiment mieux, je suis allé frapper à toutes les portes. J’ai fait une thérapie. Pour moi, ça a été la psychanalyse. La thérapie vous aide à vous comprendre vous même. Je me suis intéressé à la philosophie, à la religion, à la spiritualité au sens large. Tout ça pour chercher à comprendre ce qui m’arrive. Mais j’avais oublié la moitié du travail.
La moitié du travail, c’est d’arrêter de chercher à comprendre, c’est d’accepter de vivre avec, de lâcher prise.
Et pour ça, on a plein de disciplines qui peuvent nous aider. D’ailleurs, elles sont toutes autour de la respiration. Je nage une fois par semaine, je médite tous les matins…
Quel message vous tient à coeur ?
Je veux donner de l’espoir. Aujourd’hui, je vais bien. Et ce, depuis plusieurs années. Il y a un après. Alors, je ne dis pas que je ne suis plus malade, je dis que je suis rétabli. Je ne dis pas que je ne rechuterai jamais. En tout cas, moi, j’y crois. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, je ne prends plus de traitements.
Cependant, je tiens à le dire et c’est très important pour tous les autres patients : l’objectif n’est pas l’arrêt du traitement. L’objectif, c’est d’aller bien. Je peux vous dire que si dans quelques années, je me sens de plus en plus fragile et qu’il faut reprendre un thymorégulateur, je reprendrai un thymorégulateur. Je ne vais pas mettre ces 4 ans de bonheur après 25 ans de chaos à la poubelle, sous prétexte que je ne veux pas de chimie dans mon corps.
Il y a des militants pour penser à des choses comme ça. Moi, je ne suis pas un militant, je suis militant de mon bien être. C’est aussi simple que ça. L’espoir, c’est quelque chose de très important. Et cet espoir, il est possible qu’avec beaucoup de persévérance.
Etes-vous encore bipolaire ?
Mon livre s’appelle “S’apprivoiser. Confessions d’un ex bipolaire en consultations”, c’est aussi pour que les mentalités évoluent.
Aujourd’hui encore, les étudiants en médecine apprennent que c’est une maladie chronique, que les troubles bipolaires sont une maladie à vie. Je suis désolé, mais moi, depuis quatre ans, je n’en souffre plus du tout. Au fond de moi même, je suis toujours sur mes gardes, même si je n’ai plus d’épée de Damoclès. Mais au fond de moi même, j’ai aussi ce gros espoir : que l’on pourra dire que je suis guéri le jour où je serai mort, parce que je n’aurai pas rechuté.