Près d’une personne sur cinq dans la population française a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie (source 1). Une pathologie fréquente qui affecte aussi grandement la sexualité. Ce que confirme Magali Croset-Calisto, sexologue, dans son livre Moins de stress grâce au sexe : « les états dépressifs induisent une diminution de la libido, de l’excitation, de la fréquence des rapports, voire une anorgasmie ou encore une anéjaculation ».
Inévitablement, tout cela a aussi des répercussions sur le couple. Comment faire pour gérer ces relations complexes entre sexe et dépression ? Pour comprendre, nous avons interrogé Gregory Fritsch, psychologue clinicien.
Quel est le lien entre la libido et la dépression ?
D’abord, il y a plusieurs types de dépression : chronique, aiguë, celle que l’on va appeler « normale » ou « réactionnelle », par exemple en cas de deuil, séparation, etc. Pour chacune d’entre elles, il y a encore plusieurs états. Mais de toutes les manières, ce sont des moments où l’humeur est touchée et donc forcément la libido est affectée.
La sexualité est délaissée parce que la vie psychique est axée sur autre chose. Pour avoir une vie sexuelle, il faut qu’il y ait une intrication (enchevêtrement) de la pulsion de vie et de la pulsion de mort. Or, dans le cas de la dépression, les pulsions de mort dominent généralement, explique Gregory Fritsch, psychologue clinicien.
En outre, en plus de leur pathologie, certaines personnes souffrent des effets de leur traitement, car les antidépresseurs sont bien connus pour inhiber la libido.
Antidépresseurs et sexualité : quels effets sur la libido ?
Quasiment tous les antidépresseurs affectent en effet négativement la libido. Les médicaments les plus utilisés contre la dépression sont les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (fluoxétine, paroxétine, sertraline, citalopram et escitalopram). Ces antidépresseurs ont pour visée de stabiliser l’humeur, ils agissent sur les neurotransmetteurs qui contrôlent cette dernière (dopamine, sérotonine). À supposer qu’il y ait un pic de libido, celui-ci va donc être limité, régulé par le traitement. C’est donc aussi pour cela que les relations sexuelles baissent en cas de traitement médicamenteux.
Sans compter que « les antidépresseurs inhibiteurs dits sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS) exposent à des effets indésirables sexuels pouvant persister longtemps après l’arrêt du médicament », ajoute un article de la revue Prescrire (source 2). « Mi-2019, l’Agence européenne du médicament (EMA) a recommandé d’ajouter la mention de troubles sexuels persistants dans les informations officielles de certains antidépresseurs », note l’article.
Pourquoi limiter le désir de faire l’amour ?
Pour éviter les suicides : si je ne monte pas trop haut, je ne tombe pas trop bas non plus. C’est une histoire de balance et d’équilibre. Mais s’il semble que des traitements qui n’altèrent pas la sexualité sont en train de poindre le bout de la capsule, certains autres pourraient provoquer des orgasmes spontanés, voire déclencher une hypersexualité, selon une étude de 2017 (source 3). Bref, ce n’est pas encore gagné !
Peut-on, au contraire, avoir davantage envie de sexe ? Voire de tomber dans l’addiction ?
Oui. Même si c’est plus rare, il peut arriver d’avoir des comportements compulsifs avec la sexualité. C’est-à-dire que pour ne pas tomber dans la dépression, on augmente les relations sexuelles (seul.e ou à deux). L’objectif est de se faire des « shoots » de sérotonine par le biais de la jouissance, afin de compenser un état dépressif latent (N.D.L.R. : plutôt pour camoufler la tristesse que par pur plaisir donc). On en revient aux pulsions de mort ou de vie.
Troubles de la sexualité et dépression : que faire pour retrouver le désir ?
Avant de voir un médecin ou un psychiatre et de prendre des médicaments, il faut prendre rendez-vous avec un psychologue (qui, on le rappelle, n’en prescrit pas), afin de commencer une psychothérapie. Le fait de verbaliser sa problématique avec quelqu’un de neutre est le premier pas vers la guérison.
Je suggère aussi d’y associer des pratiques autour du corps : activité physique, massage, etc. Trouver des activités pour découvrir ou redécouvrir un plaisir, s’avère bien souvent une bonne option.
Les troubles sexuels peuvent-ils provoquer ou amplifier une dépression ?
Avoir des troubles sexuels peut aussi avoir une incidence sur l’humeur, car cela va attaquer l’estime de soi, créer du doute. Idem quand, dans un couple, la communication ne passe plus ou qu’on parle peu. Ces déceptions successives peuvent entrainer quelque chose de l’ordre de la dépression. Mais encore une fois, c’est plus rare dans ce sens-là.
En couple, comment se comporter avec un conjoint dépressif ?
Accompagner le/la conjoint.e dans sa prise en charge, quitte à faire aussi une thérapie de couple en premier lieu. En ce qui concerne la sexualité, il s’agit de passer par des moments tactiles tendres qui ne soient pas forcément sexuels, afin d’aider son.sa partenaire à se reconnecter à son plaisir corporel, de laisser le désir émerger de nouveau chez l’autre. Enfin, il faut… de la patience. C’est un moment à passer dans une vie.
Si l’on est en manque de sexe, comment faire preuve de patience ?
C’est aussi pour ça que la thérapie de couple est bienvenue : cela permet au partenaire de la personne dépressive de s’exprimer et à cette dernière de mesurer qu’elle peut aider le couple. Après, bien sûr, si cela n’évolue pas du tout, il faut peut-être quitter l’autre, car parfois on ne rend pas service en restant (une attention trop soutenue par exemple n’aide pas forcément).
Le témoignage de Cécile, compagne d’un dépressif
Cécile, quarantenaire, est maman d’une petite fille de 6 ans. Son compagnon est dépressif depuis plusieurs années.
« Cela a énormément pesé sur nos relations sexuelles et amoureuses. Nous avons failli nous séparer et puis finalement nous avons tenu le coup. À force d’essais, de travail, de remise en question et d’amour, on a fini par trouver notre équilibre. Aujourd’hui, lui comme moi souffrons moins de cette situation ».
En bref : l’humeur et le désir sont étroitement liés et s’influencent mutuellement. Si l’on est dépressif ou que notre libido est à zéro, il convient donc d’engager un travail (seul.e ou en couple), à la fois sur le corps et l’esprit.
Quelles sont les personnes les plus touchées par la dépression ?
La dépression touche davantage les femmes que les hommes, rapporte le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (source 4). « On estime que 3,8 % de la population souffre de dépression, dont 5 % des adultes (4 % des hommes et 6 % des femmes) et 5,7 % des personnes de plus de 60 ans ».