De l’implication excessive dans le travail à l’addiction, il n’y a parfois qu’un pas… que certains salariés franchissent sans s’en rendre compte, rapporte l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) (source 1). Avec, à la clé, des conséquences parfois graves pour eux-mêmes et leur entourage.
Définition : qu’est-ce que le workaholisme ou addiction au travail ?
« L’addiction au travail est une des addictions comportementales rencontrées dans le monde du travail aux côtés, notamment, de la dépendance aux technologies de l’information et de la communication. Cette addiction est également appelée ‘workaholisme’. Ce néologisme a été créé en 1968 par Wayne Oates qui souhaitait comparer, à partir des mots work (travail) et alcoholism (alcoolisme), le rapport pathologique d’une personne à son travail avec la dépendance à l’alcool », explique l’INRS.
Car oui, on peut être « accro » au travail, comme on l’est de l’alcool, du tabac, de la cocaïne. « Et bien que nous ne disposions d’aucunes données épidémiologiques sur la fréquence de cette addiction, nous en voyons de plus en plus dans nos consultations », constate le Pr Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris).
« Quelques études se sont intéressées au nombre d’heures de travail effectuées pour la définir. Mais ce critère, à lui seul, n’est pas suffisant en raison de son manque de spécificité. En effet, de nombreux salariés effectuent des heures supplémentaires pour des raisons financières, tandis que d’autres ne sont pas soumis à la réglementation relative au temps de travail. Or, ces cas ne relèvent pas systématiquement d’un comportement inadapté. Ainsi sera considéré comme workaholique un salarié travaillant de façon excessive et de manière compulsive », complète l’INRS.
Que peut cacher une addiction au travail ?
Comme toute dépendance, celle au travail se caractérise par une difficulté à « décrocher » : on se sent mal quand on arrête, on y pense sans arrêt, même quand on se consacre à autre chose ; on n’arrive pas à faire de vraies coupures, même le soir, le week-end, pendant les vacances ; on ne peut pas faire un pas sans son portable, ni passer quelques heures sans consulter ses mails.
Assez révélateurs également : « un travail de moins en moins efficace et productif malgré le temps et les efforts qu’on lui ‘sacrifie’, des reproches répétés de la famille, une vie sociale qui s’appauvrit, une santé que l’on néglige », cite le Pr Lejoyeux. Quand on lui demande ce que peut traduire ce comportement, il répond :
On retrouve chez ces personnes une faible image de soi qui les pousse à en faire toujours plus pour prouver qu’elles méritent leur salaire et leur statut social. Et puis aussi une angoisse à être seules avec elles-mêmes : elles se concentrent sur le travail pour ne pas penser à leurs émotions.
Une analyse que partage Anne Chimchirian, psychologue clinicienne, qui complète :
Dans ma pratique, j’ai noté chez beaucoup d’entre elles un besoin quasi obsessionnel de se sentir avoir une place et, en l’occurrence, le travail est le seul endroit où elles ont l’impression d’être quelqu’un.
Autre point commun : une tendance à vouloir contrôler. « Non seulement au travail, ce qui explique qu’elles occupent souvent des postes à hautes responsabilités et qu’elles aient du mal à déléguer, mais aussi dans leurs relations amicales, familiales, voire conjugales », approuve Anne Chimchirian.
Comment savoir si l’on est vraiment accro au travail ?
Il faut bien distinguer une personne investie, passionnée et impliquée dans son travail d’un.e « work addict ». Si cela peut se révéler difficile, quelques pistes peuvent vous aider à identifier une véritable addiction au travail.
« Si le surinvestissement professionnel n’est pas une fuite mais qu’il est pleinement décidé, dans l’idée par exemple de mettre sa carrière en avant, qu’il rend plutôt heureux et ne se chronicise pas, et si l’on sait aussi se rendre disponible pour sa famille, ses amis, des loisirs, je ne pense pas qu’il y ait matière à s’inquiéter », rassure Anne Chimchirian.
Reste qu’il n’est pas si facile de détecter le moment où l’on bascule dans la vraie dépendance, où l’on passe du plaisir à la souffrance. D’une part parce que le glissement est en général progressif, d’autre part, parce que les personnes n’en sont pas forcément conscientes.
« Quand elles viennent me voir », a remarqué le Pr Lejoyeux, « ce n’est pas sous ce motif, mais parce qu’elles ont développé une autre addiction, notamment à l’alcool, ou qu’elles présentent une dépression ».
Workaholisme : quelles peuvent être les conséquences ?
À trop tirer sur la corde, les conséquences peuvent être très lourdes :
Le risque est de se retrouver isolé.e, de sa famille, de ses amis, de ses collègues, et ainsi de ne plus avoir quelqu’un d’objectif autour de soi pour nous aider à repérer nos excès et nos difficultés, alerte Anne Chimchirian.
Sans parler du fameux syndrome d’épuisement professionnel (burn-out) : « bien que tous les ‘work-addict’ ne basculent pas dans le burn-out, ils ont un profil qui les y expose », confirme le Dr François Baumann, spécialiste de ce problème. Souffrir de maux de tête, de troubles digestifs, d’une fatigue anormale, pleurer sans raison ou partir dans des colères excessives, sont des signes qui doivent alerter ».
Comment soigner le workaholisme ?
Si l’addiction au travail est avérée, « la prise en charge du salarié souffrant d’addiction au travail nécessite, dans un premier temps, une intervention médicale », rapporte l’INRS. « Celle-ci peut être initiée lors d’un examen par le médecin du travail, par exemple lors d’une visite de reprise ou à la demande du salarié ou de son employeur. À l’aide de tests, tels que le questionnaire WART, le médecin du travail peut évaluer l’intensité du workaholisme ».
Une prise en charge multidisciplinaire impliquant notamment un addictologue est alors instaurée. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC)constitue la base du traitement, un des objectifs principaux étant le maintien dans l’emploi. Le but pour le/la salarié.e : « (ré) apprendre à fixer des limites dans ses horaires de travail, respecter les jours de repos hebdomadaires, prendre des vacances, ne pas consulter sa messagerie professionnelle et éteindre son téléphone portable lorsqu’il ne travaille pas… ».
La prévention collective de l’addiction au travail repose, entre autres, sur la prévention des risques psychosociaux.
Deux livres utiles :
- L’après burn out, Dr François Baumann, 17 €, éd. Josette Lyon.
- Réveillez vos désirs, Pr Michel Lejoyeux, 6,30 €, éd. Le Livre de Poche.